Emmanuel Bacquet
Videoprotections
Tirages chromogéniques sur dibond, 75*100 cm

« Il fait froid dans le monde » chante Brigitte Fontaine :
« Il fait froid dans le monde, ça commence à se savoir »

Il fait froid, et maintenant, tout le monde le sait très bien.
« video-protection » est devenu le terme correct pour « video-surveillance ».
Surveiller ça n’est pas punir, surveiller c’est protéger.

Il est protégé, ainsi, celui qui meurt de froid sur le bitume. Une Sony-Cmos-vga
veille sur lui. Dans son caisson étanche elle retransmet son image grace à des
kilomètres de fibre optique.

C’est, bien sûr, un signe des temps. Personne n’est aveugle. Comme par hasard,
on nous ressort, en ces temps trop froids, l’attirail drapeautique nauséabond de
la « surveillance » des « couvre-feux ».

Rien à voir avec « 1984 ». Ce n’est pas ici subi, c’est voulu : les gens votent
pour ça. « mettez-nous des cameras ! mettez-nous des cameras, qu’on soit bien
protégés !! » semblent-ils dire.

Le vrai « cinéma du réel » il est là : en venant ici en métro vous avez été filmés
par plus de cameras que Fellini n’aurait pu en utiliser toute sa vie durant.

Alors moi j’en mets aussi des cameras, mais permettez-moi de les détourner, de
leur objectif, si je puis dire.

Leur image bleutée, vacillante, issue de pauvres machines électroniques comme
notre société sait si bien en saupoudrer la planête, je ne peux m’empêcher d’y
voir le Grotesque d’aujourd’hui (dans le sens que l’on attribue aux primitifs
Flamands).

A l’heure où l’on a bien fini de piétiner ce qui aurait pu nous donner un peu
de grandeur,
alors que nous avons tous réussi à rendre notre vie commune étroite,
peureuse et bien froide,
ces formes humaines indistinctes qui courent dans les sous-sols,
s’effondrant parfois au pied des marches, filmées par ces cameras qu’elles ont
elles-même demandées, sont pour moi la seule image vraie de notre monde.

J’avoue qu’elle ne prête pas à rire.            E.B.